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Les entretiens entre Michel Rocard et Sylvie Santini

Sylvie Santini, journaliste, a confié à la Fondation en 2017 la conservation et la valorisation d’une trentaine de cassettes audio d’entretiens de Michel Rocard, enregistrés dans le cadre du travail préparatoire à sa biographie Michel Rocard un certain regret (éditions Stock, janvier 2005). Ces entretiens, numérisés, sont disponibles en salle de consultation. Une sélection est disponible en ligne.

Mes K7 Rocard, par Sylvie Santini, Juillet 2023

Edmonde Charles-Roux, Jean-Luc Godard, Simone Veil… tels étaient les « sujets » successivement envisagés en 2002 avec le regretté Jean-Marc Roberts, directeur des éditions Stock, pour la biographie qu’il me faisait l’honneur de me confier.

Le sujet fut au final… Michel Rocard !

J’étais alors journaliste à Paris Match - après l’Express et l’Expansion -, délibérément non spécialisée, reporter tout terrain, pas du tout étiquetée « journaliste politique ». C’est donc en presque néophyte du monde politique, curieuse avant tout des personnages paradoxaux, que je jetai mon dévolu sur un ex-Premier ministre de 72 ans, à l’époque quasiment disparu des radars. « Un has been », pouffaient mes collègues, étonnés de mon intérêt pour cette sorte de menhir du Parti socialiste.

Pourquoi Rocard ? Parce-qu’ancré à gauche et estimé, voire admiré, à droite. Simone Veil m’aurait inspirée pour des raisons symétriques. Après avoir formulé quelques exigences, le grand homme donna sans réserve son accord et son temps pour contribuer à un travail biographique sur sa personne.

Ainsi au fil d’une trentaine d’entretiens déroulés sur près de deux ans, entre le 27 août 2002 et le 27 mai 2004, m’a-t-il raconté sa vie. Ou plutôt, un peu de sa vie - familiale, affective, sportive…- mais aussi et surtout son apprentissage de la politique, ses convictions, son parcours, ses batailles, ses démêlés - avec quelque Illustre notamment -… et ses hauts faits bien sûr. Il savait que je ne préparais pas un recueil d’entretiens mais une biographie. Que je m’intéressais à sa psyché, aux ressorts de sa vocation et de son action, plus qu’à l’histoire politique proprement dite. Il n’en préparait pas moins chaque séance avec l’implacable souci de méthode et de pédagogie qui était le sien. Ses souvenirs défilaient, dans un déroulé minutieux, toujours émaillé des légendaires digressions et circonvolutions qui lui avaient valu chez les scouts le totem d’hamster érudit ! Se rengorgeant parfois, de telle ou telle réussite ô combien historique (les accords en Nouvelle Calédonie, le RMI, la CSG, etc.), soupirant à d’autres moments, pestant même contre l’incompréhension, voire la trahison des siens…

La mémoire ne flanchait pas, la mécanique cérébrale tournait à plein régime. Nos rencontres se déroulaient la plupart du temps au « 266 », nom de code de son bureau à l’époque, 266 boulevard Saint-Germain, non loin du Parti socialiste, alors rue de Solférino, et des centres du pouvoir. L’ancien Premier ministre officiait dans une belle pièce d’angle, où j’étais ponctuellement introduite par l’une des deux « Catherine », ses secrétaires au prénom identique. Une heure à une heure et demie d’entretien, je le laissais librement discourir, pontifier un peu parfois, ces enregistrements n’étaient pas destinés à la diffusion, ils n’étaient qu’un support de travail, un aide-mémoire, en renfort des notes dont je noircissais mes cahiers format écolier.

Il y eut aussi des rencontres à domicile, notamment avec sa dernière épouse, Sylvie, dans une vaste maison des Yvelines, sorte d’arche de Noé pour chiens et chats recueillis par cette fervente protectrice des animaux. Les derniers entretiens, au printemps 2004, eurent lieu à Marseille, lors de sa campagne de candidat aux élections européennes pour la région Sud-Est.

De ces moments privilégiés, immensément instructifs et toujours cordiaux, ainsi que de la centaine d’interviews d’amis, parents, fidèles et moins fidèles, « camarades » ou adversaires contribuant à cette biographie en forme de portrait, j’ai acquis la conviction que, trop rare parmi les politiciens de son rang, Michel Rocard avait la trempe d’un vrai homme d’Etat. Et que la France avait perdu une grande chance à ne pouvoir le compter parmi ses Présidents, empêché qu’il fut, tant par son grand ennemi François Mitterrand que par quelques inhibitions personnelles.

Tel est le sens du titre choisi pour mon livre paru en janvier 2005 : Michel Rocard, un certain regret, aux éditions Stock.

Et voilà pourquoi j’ai choisi de confier à la Fondation Jean-Jaurès une voix qui, vingt ans après, sur bien des sujets - la Turquie ou l’Europe notamment - garde toute sa pertinence.

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